dimanche 20 novembre 2011

COMMENT ÉCRIRE SUR L'AFRIQUE.



Un texte ironique de Binyavanga Wainaina, auteur du livre "How to write about Africa? » qui est une critique directe sur l’image que beaucoup d’européens montrent de l’Afrique. L’image que les occidentaux donnent de l’Afrique est une image stéréotypée et basée sur les mêmes réalités péjoratives.

Comment écrire sur l’Afrique et les Africains ? Voici quelques pistes…

Parlez de l'Afrique comme d'un seul pays. Et généralisez, toujours. Employez toujours le mot ‘Afrique’ ou ‘Obscurité’ ou ‘Safari’ pour votre titre. […]
Pas d’image d’Africain sur la couverture de votre livre ou à l’intérieur, à moins que cet Africain ait gagné le Prix Nobel. Un AK-47, des seins nus, voilà ce que vous devez utiliser. Si vous devez inclure un africain, assurez-vous que vous prenez un Massai ou un Zoulou. […]

Traitez l’Afrique comme si c’était un seul pays. Et généralisez, toujours. C’est chaud et poussiéreux… avec de grands troupeaux d’animaux, des personnes minces, qui meurent de faim. Ou alors c’est chaud et humide avec des gens courts qui pratiquent l’anthropophagie. Ne vous emmêlez pas dans des descriptions précises. L’Afrique est grande : 54 pays, 900 millions d’habitants qui sont très occupés, confrontés à la famine, qui meurent, qui se battent et qui émigrent pour lire votre livre.

Le continent est plein de déserts, de jungles, de régions montagneuses, de savanes et de beaucoup d’autres choses, mais votre lecteur ne fait pas attention à tout cela, alors gardez vos descriptions romantiques.... Assurez-vous que vous démontrez combien les Africains possèdent du rythme et de la musique dans leurs âmes et qu’ils mangent des choses que d’autres humains ne mangent pas. Ne mentionnez pas le riz, le bœuf et le blé ; Dites plutôt que le cerveau du singe est le choix privilégié de la cuisine africaine, en plus de la chèvre, du serpent, du ver, des larves… Assurez-vous de démontrer que vous avez été capable de manger une telle nourriture sans tressaillir et n’oubliez pas d’expliquer comment vous avez appris à l’apprécier, simplement parce que vous aimez l’Afrique.

Sujets tabous: Les scènes domestiques ordinaires ; L’amour entre africains, à moins que cela n’ait à voir avec la mort ; Les références aux écrivains et intellectuels africains ; le fait de mentionner des enfants allant à l’école qui ne souffrent pas de ballonnement, de fièvre Ebola ou de mutilation sexuelle.
Dans tout le livre, adoptez une voix douce, en complicité avec le lecteur et un ton triste. Très tôt faites en sorte que votre libéralisme soit impeccable et mentionnez vers le début combien vous aimez l’Afrique, combien vous êtes tombé amoureux de ce lieu et que … l’Afrique est le seul continent que vous pouvez aimer. […]

Quel que soit l’angle que vous prenez, soyez sûr de laisser la forte impression que sans votre intervention et votre important livre, l’Afrique est vouée à l’échec.
Vos personnages africains peuvent être des guerriers nus, des fidèles serviteurs, des devins… ou des politiciens corrompus, des polygames ineptes, des guides de voyage et des prostituées qui ont couché avec vous. Le fidèle serviteur se comporte toujours comme un enfant de 7 ans et a besoin d’une main ferme, il a peur des serpents, il est bon avec les enfants, et il vous implique toujours dans son drame domestique complexe. […]

Parmi vos personnages vous devez toujours inclure l’Afrique qui meurt de faim, qui vagabonde dans un camp de réfugiés, presque nue et qui attend la bienveillance de l’Occident. Ses enfants ont ouvert leurs paupières et leurs ventres ballonnées, mais ses seins sont vides et plats. Elle doit paraître comme une femme complètement impuissante qui ne peut avoir un passé, ni une histoire. De telles diversions ruinent le moment dramatique. Les gémissements sont bons. Elle ne doit jamais dire quelque chose sur elle-même dans un dialogue, excepté parler de son indescriptible souffrance.
Soyez aussi sûr d’inclure une chaleureuse et maternelle femme qui a le sourire et qui se soucie de votre bien-être. Appelez-la ‘Maman’. Ces personnages doivent bourdonner autour de votre principal héros, le rendant fascinant.

Votre héros peut les enseigner, les nourrir… Votre héros c’est vous ou une belle et tragique célébrité internationale si c’est un reportage, ou un aristocrate qui sait prendre soin des animaux si c’est une fiction.

Les grands coups de brosse sont bons. Evitez d’avoir des personnages africains souriant et luttant pour éduquer leurs enfants. […] Les personnages africains devraient être pittoresques, exotiques, plus larges que la vie mais vides à l’intérieur : pas de dialogue, pas de conflits ou de résolutions dans leurs histoires, pas de profondeur… Cela porterait préjudice à la cause.

Décrivez en détail les seins nus de jeunes, vieux, conservatrices, récemment violées, gros, petits ou des gens ayant subi des mutilations génitales... Et n’oubliez pas de parler aussi des cadavres. Ou mieux des cadavres nus. Non, encore mieux, des cadavres pourrissants. Rappelez-vous que écrit dans lequel les africains paraissent grossiers et misérables, sera appelée « La vraie Afrique » . Il ne faut pas avoir mal au cœur à propos de cela : vous êtes en train d’essayer de les aider à avoir le soutien de l’Occident.
Le plus grand tabou en écrivant sur l’Afrique c’est de décrire, de montrer des Blancs morts ou des Blancs qui souffrent.

D’autre part, les animaux doivent être traités comme des personnages complexes. Ils parlent (ou grognent pendant qu’ils redressent fièrement leurs crinières) et ont des noms, des ambitions et des désirs. Ils ont aussi des valeurs familiales : regardez comment les lions enseignent leurs petits, les éléphants sont très attentifs et des dignes patriarches. Les gorilles aussi.  Les lionnes, de bonnes féministes. Il ne faut jamais dire quelque chose de négatif à propos d’un éléphant ou d’un gorille. Les éléphants peuvent attaquer les maisons, détruire les plantations et même tuer des personnes. Soyez toujours du côté de l’éléphant…

Tout Africain, surtout de petite taille, vivant dans la jungle ou dans le désert, peut être photographié, sourire aux lèvres, à moins qu’il ne soit en conflit avec un éléphant, un chimpanzé ou un gorille, dans ce cas, il est un pur diable. […]

Les lecteurs seront désintéressés si vous ne mentionnez pas la lumière en Afrique. Et les couchers du soleil. Le coucher du soleil africain est une obligation c’est toujours gros et rouge. Il y a toujours un grand soleil…

L’Afrique, c’est la terre avec de larges espaces vides. Lorsque vous écrivez sur la situation critique de la flore et de la faune, assurez-vous que vous mentionnez que l’Afrique est surpeuplée. Lorsque votre principal personnage est dans un désert ou dans la jungle, vivant avec les Indigènes (toute personne courte), c’est bon de mentionner que l’Afrique a été sévèrement dépeuplée par le SIDA et la Guerre. Utilisez les lettres en majuscules).

…Terminez toujours votre livre par Nelson Mandela en disant quelque chose sur les arcs-en-ciel ou les renaissances. Parce que cela vous préoccupe.


*Binyavanga Wainaina est le rédacteur en chef, fondateur du magazine littéraire KWANI. Cet article est extrait de la dernière édition de Granta.  http://www.kwani.org/

 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

description du noir par le Blanc ou celle du noir par le noir lui meme?